La voie du rebond européen
Peut-on imaginer une croissance occidentale découplée du reste de l’économie mondiale ?
Plus personne n’a aujourd’hui de doute sur la profondeur du reflux des économies émergentes. Dans le sillage des BRICs, c’est près de 40% de l’économie mondiale qui décélère. Et comme souvent dans ces cas-là, la décélération fait surgir les failles structurelles. C’est donc avec la perspective d’une panne durable des économies émergentes qu’il nous faut aujourd’hui imaginer notre propre croissance. Voyant se réduire le gâteau de la croissance mondiale (les dernières projections du FMI en attestent), beaucoup y voient le prélude à un ralentissement plus profond, qui contaminerait toutes les régions du monde.
Le monde a perdu sa locomotive émergente. La locomotive américaine, après 7 ans de croissance continue, montre des signes de faiblesse, auxquels l’attentisme de la FED fait écho. Par empilement, le ralentissement ne peut que gagner l’Europe, qui mange aujourd’hui le pain blanc d’une désinflation importée. Mais passé cet effet d’aubaine, qui a redonné des couleurs imprévues à sa demande intérieure, l’Europe retombera vite dans les affres de la stagnation et de la déflation.
On peut cependant avoir une autre lecture des enchainements.
La crise de 2007-2008, ne l’oublions pas, avait pour racine une surproduction mondiale qui n’avait trouvé sa solution que dans la surconsommation américaine à crédit. L’Amérique, sur-consommatrice a alors utilisé rapidement l’arme de la dévaluation pour reporter l’ajustement des surcapacités à qui de droit : à l’Europe sous-consommatrice
d’abord, qui sous tutelle allemande, a finalement préféré détruire des capacités, plutôt de ranimer sa demande intérieure. Les allemands ont alors entièrement misé sur l’eldorado des émergents pour compenser leurs pertes de débouchés européens.
Mais en changeant leur fusil d’épaule en 2014, et en jouant la baisse de l’euro, les Européens ont alors reporté le reste du « job » de destruction des surcapacités mondiales sur les pays émergents. Ils en étaient la source et cet ajustement de capacité est maintenant la cause première de leurs difficultés présentes.
Est-ce à dire que le piège va se refermer sur les économies développées ? Pas nécessairement, car il est peu probable que les Etats-Unis prennent la relève de la destruction des surcapacités. Comme en 2008, ils préféreront jouer la partition de la baisse du dollar. Dans ce contexte, l’Allemagne rejouera-elle aussi la partition de 2008-2010 ?
C’est peu probable, car ses intérêts ont changé. L’affaire Volkswagen a révélé la vulnérabilité de son choix hyper-industriel. L’idée de se refaire sur les marchés émergents a également vécu. L’Allemagne n’aura certainement plus le luxe de s’offrir une nouvelle crise des débouchés européens. Il est fort à parier que dans ce contexte,elle ne pourra plus évacuer l’enjeu de la demande intérieure de la zone euro et jouer une partition non coopérative.
Il y a une seconde bonne raison d’imaginer un découplage possible entre pays avancés et pays émergents. Les modes de transmissions ne sont plus ceux des années 70-80.
L’idée de régions locomotives, qui via le commerce extérieur emportent dans leur mouvement le reste du monde a elle aussi vécu. Dans un monde financiarisé, les transmissions s’opèrent d’abord par le capital. Le ralentissement des émergents conduit les grands groupes à se recentrer sur leurs marchés d’origine. Ce recentrage n’a pas d’effet miraculeux sur la croissance : il alimente d’abord un jeu de fusions-acquisitions, de concentration, qui ne relance pas directement l’investissement. Mais il entretient dans le même temps un régime de faible taux d’intérêt, favorable à la croissance organique des petites entreprises. Les choix politiques seront alors décisifs pour que la logique de consolidation ne l’emporte pas sur celle du développement.
Cet article est également disponible sous format Video :
http://www.xerficanal-economie.com/emission/Olivier-Passet-La-voie-du-rebond-europeen-face-a-la-panne-des-emergents_2902.html
(Mis en ligne le 23 Octobre 2015)



















































